dimanche 6 février 2011

Le Syndrome de Stockholm

 
                  J’en ai bien peur, il commence à poindre. Il se fait jour dans l’obscurité de mes nuits blanches. Ces nuits de veillées funèbres sur le cadavre gelé de mes cernes violacées. Ces nuits de veille que je passe sur mes dissertations philosophiques ou littéraires. Celles que je fais à la dernière minute car je n’ai pas réussi à m’organiser pour les faire avant. Celles que je fais au dernier moment car j’ai préféré succomber en premier lieu au plaisir imminent et à l’appel vigoureux de l’insatiabilité de mes désirs. Celles que j’écris le bras tremblant de fatigue mais réveillé par une drogue coca-colée, les yeux plissés, les paupières lourdes, à la maigre lumière jaunâtre et saumâtre d’une lampe Ikea sur mon bureau, sous une fenêtre où le ciel couché pèse sur mes épaules tiraillées par un sac lourd d’idées et de devoirs. Par contre, mon bagage de souvenirs me pèse agréablement, les courbatures qu’il me donne m’enchantent même car elles sont utiles et dues à l’agréable. Ce syndrome m’atteint de manière tout à fait surprenante alors que je pensais me révolter, alors que je le voulais. N’étais-ce finalement qu’un leurre de mon jugement trop hâtif, de mon regard jeune, de mon opinion révoltée, de mes pensées bouillantes ? Je croyais vouloir autre chose, un flou artistique qui me correspondrait davantage, qui serait moins éprouvant et général, moins ennuyeux et inutile, plus dans le vif du sujet et intéressant, qui me passionnerait. Je désire toujours cela mais les symptômes du syndrome de Stockholm apparaissent étrangement par bribes. Quelques petites idées implantées, qui germent et grandissent au début furtivement puis au grand jour, à la lumière des arbres rayonnants de grandeur, épanouis. Ces idées absurdes : si si c’est bien en fait, si si c’est utile, si si tout cela tu ne le fais pas en vain ma pauvre fille, si si tu verras tu seras contente de ne pas avoir tout quitté pour un dessein inconnu, pour laisser libre cours à tes pensées de voguer et à tes jambes de voyager, si si tu avais raison de ne pas abandonner car le futur te montrera que cela paye de beaucoup travailler même si cela ne correspond pas à ce que tu feras plus tard. L’avenir n’a pas d’importance par rapport au présent. Nous vivons pour connaître tout de suite et pour expérimenter le présent. Nous vivons pour le présent. Nous vivons au présent. L’avenir est peu de choses face à tant de considérations épicuriennes. Mais sont-elles réalistes ? Est-il vraiment possible de ne pas se soucier de l’avenir ? Ou tout du moins de se contenter de ce que l’on ne sait pas de lui ? Tout est dans la satisfaction. Je m’attache peu à peu à ce tyran qui m’oppresse, à cette prison de lignes électriques, à ce goulag de travaux forcés, à ces exercices mentaux de réflexion, à ces camps de livres, à ces murs et ces grilles aux fenêtres qui me font entrevoir un ciel bleu magnifique par petits carrés coupés, à ce bourreau des cerveaux. Je ne comprends plus. Je suis perdue. Je m’y attache car il m’apporte une connaissance, une méthode. Il m’apprend à être rigoureuse et disciplinée même si je n’y arrive pas toujours, j’ai tout de même tendance à me contrôler et à avoir mauvaise conscience. Il cultive ma curiosité, mon intellect, mon savoir vivre, ma politesse. Il élargit mon champ de vision et ma manière de procéder. Il améliore mes capacités et les développe. Tout cela ne se fait pas sans peine, sans sueur, sans labeur et sans torture certes. Mais on n’arrive rien à rien sans essayer et sans persévérer. Il m’enseigne finalement une bonne dose de motivation, il me pousse à me surpasser et à aller plus loin que les limites où je me serais arrêtée. Je le remercie et l’apprécie pour cela. Quelle folie! Cela serait-il assez pour me pousser vers une deuxième année de captivité ? Si j’hésite tant c’est que cela n’a rien de bon, n’est-ce pas ? Pourquoi continuer à souffrir après tout ? Je ne vois pas d’intérêt immédiat, je reste confinée dans des élucubrations philosophico-abstraites qui ne m’apportent rien de concret et m’enferment dans ma bulle. C’est paradoxal de devoir être courageuse pour supporter tout cela mais d’être tant lâche dès qu’il s’agit de tout quitter. Une mauvaise conscience à la voix diabolique nous martèle les oreilles comme quoi autant aller jusqu’au bout et qu’il est meilleur de passer par là. Je ne vois juste pas le bout de la délivrance. Et puis à quoi bon si je n’ai plus mes Epaules pour m’aider, mes Lumières pour m’éclairer sur le droit et sage chemin, mes Folies pour me distraire, mes Confidentes pour discuter de tout et de rien mais aussi parfois pour avoir peur et me plaindre à bon entendeur, mes Musiques pour me faire rire ? J’ai ce symptôme également grâce au fait que je vis dans un cocon douillet où nous sommes choyés dans une ambiance sympathique avec des gens merveilleux. J’aime ce partage intelligent et culturel. J’aime ces échanges affectifs. J’aime cela et je ne veux tout simplement pas le quitter si c’est pour retomber dans une impasse pire encore.
                  Existe-t-il un remède contre cette maladie étrange où l’on en vient à apprécier le mal ? Est-il possible ici de qualifier cette expérience comme mauvaise ? Certes non diantre j’aurais même plutôt tendance à la qualifier de bénéfique. Alors existe-t-il en définitive un pansement contre cette épidémie bizarre où l’on en vient à apprécier et à vouloir davantage de souffrances ? Sommes-nous tous justes fous ? Sombre-je dans la démence si je m’y embarque ? Vais-je me noyer à force d’avoir trop essayé de nager ? Vais-je m’essouffler à force d’avoir trop gesticulé comme une poire qui hésite à tomber de son poirier ? Tout ne fonctionnerait-il pas à l'envers? Le syndrome est-il le médicament ? « Difficile d’avaler la pilule » Si la liberté c’est de pouvoir choisir alors je suis prête à renoncer ne serait-ce que temporairement à cette liberté pour être débarrassée du fait de pouvoir et de devoir choisir. Je veux choisir mais ne le peux. Le pouvoir serait-il donc à ce point plus fort que la volonté ? Comment choisir quand une imposition serait tellement plus facile ? Et pourtant je souhaite bien sûr être libre de réussir mais je ne veux pas être libre de me tromper. Si je me trompe, je pourrais rejeter la faute sur Autrui, sur des puissances extérieures alors que si je réussis, je serais fière de moi uniquement. Si je me trompe en étant libre, je devrais grandir et assumer les conséquences de mes décisions. C’est pour cela que beaucoup préfèrent ne pas lutter, rester passif et s’aliéner. L’Homme a tellement peur de la vieillesse qu’il préfère parfois rester un grand enfant. Pourquoi tant de difficulté à accepter l’inévitable ? Pourquoi tant de difficulté à choisir ? De quoi a-t-on peur ?
Je veux défier les règles, je veux trouver une troisième solution, une alternative. Je veux être libre de ne pas choisir.
                  J’étais couchée sur le dos sur une pierre gelée, les jambes posées contre la colonne face à moi. Face au soleil aveuglant qui allait bientôt disparaître pour me laisser dans l’ombre froide et grise de cette fin d’après-midi, je lisais tranquillement comme au printemps, fière d’avancer et accomplie. La lumière du soleil était bien vive cependant et j’avais du mal à garder les yeux ouverts, j’avais juste envie de les fermer. Je posais alors mon bras sur mon front et ma main sur mes yeux pour être dans l’obscurité qui, pour l’occasion, m’étais préférable. Elle était délicieuse et soulever mon bras me laissait entrer dans un monde bien trop illuminé, bien trop aveuglant. Je préférais m’aveugler toute seule.

Acrostiches :

Pour
Reposer
En
Paix
Amicale

Patate
Ratatinée
Empoisonnée
Pendue
Asphyxiée

« Je fais mes devoirs en marchant. »

Et puis faut quand même se l’avouer, quoi qu’on en dise : « les profs de prépa c’est la grande class »

« Le monde est tellement pourri qu’on ne peux même plus crier alors que nous en avons tellement besoin. »

C’est grave.

« Crions. Crions ! Ecrions-nous ! Ecrivons-nous ! »