jeudi 11 novembre 2010

L'homme qui voulait vivre sa vie

Y a beaucoup trop de "pourquoi" et pas assez de "parce que". Jour de Doute de Grand Corps Malade.
Sauf qu’ici, il n’y a pas de parce que et c’est tout. Ce n’est pas un problème car les réponses n’importent pas. On s’en fiche au fond de savoir pourquoi. Le suspens nous tenaille, les interrogations persistent et c’est ce qui nous maintient dans la poursuite d’un objectif. C’est ce qui nous maintient en vie. Comme lorsqu’un désir est plus passionnant que son assouvissement. Comme lorsque le temps de la séduction est plus distrayant que celui de l’obtention. Les mots ne posent pas les questions car il y a peu de dialogue. Les images donnent les réponses parfois en totalité parfois en partie parfois pas du tout. Un regard dans un rétroviseur ou deux visages qui regardent droit devant puis se tournent l’un en face de l’autre. Tout est dans le regard et l’expression des belles formes d’un visage que l’on capture. L’instant précis compte. Celui que l’on vit maintenant, assis au bord de l’eau, au bord de la vie, au bord de la mort, dans l’attente de partir, de bouger, de mourir. La musique convient parfaitement à cette ambiance inquiétante mais sereine, déprimante mais reposante. Elle nous berce, nous envahit, nous percute. Comme les images qui nous choquent tant par leur dureté que par leur douceur la seconde d’après. Les plans s’enchaînent, se ressemblent dans leur unicité. L’atmosphère parvient à rester la même du début à la fin et malgré la lenteur des mouvements, on ne s’ennuie pas. A la fin, on a oublié le début d’une vie dans un autre monde. Celui de l’oppression où les faux semblants et la superficialité abondaient. Il y a eu cette rupture linéaire, celle de la route, de la longue route. Des larmes à l’intérieur d’un corps contenu qui finalement explosera comme un voilier au large d’une île rocailleuse et déserte comme l’âme, dans la lueur incandescente d’un paysage noirci par la mer, la nuit et le ciel. Et Dieu qui essaye de traverser les cieux pour venir jusqu’à nous mais qu’y n’y arrive pas, ou que partiellement. Les flashs ininterrompus en boucle dans notre tête ivre et floue. Ça tourne, ça tourne, ça tourne, encore et encore. Ça tourne pas rond mais ça tourne. Jusqu’à finalement se lâcher dans les profondeurs abyssales de l’inconnu. L’inconnu de ce que va être un avenir caché. On agit vite car l’on est paniqué et on ne pense qu’au futur proche mais bientôt il sera devenu passé et on se sait pas quelle est la suite car elle est impossible à imaginer. Impossibilité de revenir en arrière mais d’aller de l’avant. On se trouve dans une zone de transition sans fluctuation, sans transition possible. On se trouve dans un no man’s land. Il faut « partir et vivre ou rester et mourir ». Mais ici, c’est rester et mourir ou partir et mourir. Survivre dans la fuite éternelle d’un acte qui ne nous ressemble pas, accidentel. Fuir notre misérable condition. Fuir l’affrontement. Et pourtant combien de courage pour affronter la solitude et les contorsions corporelles qui brûlent en nous ! Impossibilité d’être reconnu pour un travail artistique dans lequel on a mis nos tripes et notre cœur. Tous ces sentiments en nous qui font mal. Toute cette émotion de voir afficher notre souffrance encadrée de noir sur des murs si blancs, dans une salle qui nous ait réservée. Une mise en abîme d’un travail photographique sublime dans un autre travail photo-cinématographique superbe. Une mise en abîme du travail de l’artiste qui souffre et qui trouve son refuge dans le déclic, dans l’observation des autres, dans le contact avec la beauté, dans l’art. Le destin et le parcours d’un homme qui voulait vivre sa vie, mais ce n’était juste pas celle que la société avait décidé pour lui, ce n’était pas celle à laquelle on s’attendait, ce n’était juste pas celle en laquelle il croyait. L’homme qui voulait se lancer dans l’aventure, qui hésitait, qui n’y arrivait pas vraiment, qui n’osait peut-être pas. Il a du faire des sacrifices mais s’est finalement épanoui dans le martyr. Un homme déchiré et un portrait psychologique bouleversant sur fond de thème philosophique concernant la conscience morale et la conscience de soi, sur la confusion de l’identité. Voler celle d’un autre pour se trouver ? Ne pas se réaliser sans autrui ? L’homme libre est-il forcément et toujours seul ? Prendre la place d’un autre et se laisser mourir. Mentir à tous à commencer par soi-même. Ne plus être soi même mais ne pas vraiment être un autre qui a finalement disparu lui aussi. De l’action brute et âpre, des moments poignants et des souvenirs cinglants. Des souvenirs qui hantent puis qui partent en fumée dans la rondeur du soleil couchant. Mais la fumée laisse des traces dans les poumons. Les cendres finissent toujours par retomber et s’éparpiller en mille morceaux de miroir brisé dans le corps stigmatisé. On n’accepte plus notre propre image alors on cherche celle des autres. On décrit, on peint, on devine, on découvre des portraits car on se cherche en eux, on cherche notre véritable reflet dans le mélange des mensonges. On essaye de se laver de ses pêchés, de se purifier, de se plonger dans l’oubli mais l’on n’y parvient.
Ici les raisons ne sont pas importantes car ce sont les passions et les douleurs qui l’emportent, car ce sont les images et les sons, les impressions et les chocs, les pensées philosophiques qui émergent au dessus de l’horizon océanique. J’aurais d’ailleurs aimé vous expliquer tout cela sans dire « car », sans vous donner de raison avec des mots mais je n’ai pas le génie d’un cinéaste pour le transmettre seulement grâce à un film, grâce à des techniques de réalisation cinématographique subtiles, grâce au pouvoir des images. Je n’ai pas pleuré car tout est en retenu dans ce film, j’aurais pu mais la contenance a été plus forte. Tout est en retenu sauf sa beauté. A voir de vos propres yeux, à frissonner de vos propres peaux, à expérimenter de vos propres chairs, à sentir de vos propres cœurs. Quant à moi, je m’empresse de partir, le plus loin possible, de tout quitter, en solitaire et d’aller photographier de lointaines contrées qui n’attendent que moi et mon objectif (à moins que ce ne soit celui-là mon objectif), ou mon carnet et ma plume…




(Photos tirées du film d'Eric Lartigau avec Romain Duris <3)

http://www.deezer.com/fr/user/gincrum#music/sacha-galperine-evgueni-galperine/l-homme-qui-voulait-vivre-sa-vie-b-o-f-683912
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2 commentaires:

  1. Tes mots sont tout simplement LES mots exacts, percutants, touchants, qui expriment très bien toute la beauté de ce film, de ce destin tragique. Poignant du début à la fin on en sort que bouleversé. Bravo à Douglas Kennedy pour la réalisation de l'intrigue et de l'histoire mais surtout au réalisateur pour la parfaite représentation à l'écran avec tous les détails qu'il faut. Et Bravo à Ginger pour cet article merveilleux qui révèle ton talent d'écriture :) <3

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  2. tu as un très joli style ma Josy. Je devrais faire un tour sur ton blog plus souvent =)
    Tu as parfaitement ébauché l'âme de ce film, du moins de la façon dont j'ai perçu l'image de l'homme perdu dans les tréfonds de ses désirs et de ses frustrations. Ton texte est très poétique, et les images que tu as mises complètent bien ce que tu as écrit. Bravo :D

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